Défi 202 croqueurs de mots
“LE TANGO EST UNE PENSEE TRISTE QUI SE DANSE !” (Enrique Santos Discépolo)
J’avais vingt ans et j’étais follement amoureuse d’un garçon de mon âge mais hélas il ne me regardait point. Nous avions pourtant une passion commune la danse. Nous habitions Paris tous les deux et le samedi soir nous nous retrouvions devant des bals. Nous adorions cela. On ressortait vers les deux heures du matin ruisselant de sueur et les vêtements collés au corps mais comme nous étions heureux ! Nous étions amis d’enfance malgré nos différences. En effet la famille d’Hervé était très riche et la mienne était à leur disposition. Je m’explique : ma mère faisait le ménage, la cuisine et mon père servait de chauffeur et d’homme à tout faire dans leur hôtel particulier. Mais cela ne nous avait aucunement gênés et nos parents avaient eu la délicatesse de ne jamais parler de notre position sociale réciproque, si bien que nous avons très vite tout partager. Au début il me donnait ses jouets qu’il ne voulait plus puis ce fut des vêtements. J’adorais me déguiser en garçon alors ses pulls, même ses pantalons que ma mère retaillait à ma taille me convenaient parfaitement. Puis doucement il y eut une petite étincelle : nous ne nous tenions plus par la main par exemple. Il ne me parlait plus de ses copines ni moi de mes copains. L’un et l’autre étions en train de devenir des adultes et nos occupations divergeaient. Il partait en voiture avec ses parents dans leur maison de campagne et nous restions dans notre modeste logement. Je m’ennuyais et c’est à ce moment que j’ai connu Jonathan qui adorait danser. Il m’emmenait partout avec son scooter dans les bals de banlieue. Je m’épanouissais et flirtais avec tous. Il n’était pas jaloux, il savait que de toute façon notre amourette ne serait qu’éphémère car il devait partir en Allemagne pour continuer ses études diplomatiques.
De plus en plus, je me languissais d’Hervé et ça m’agaçait car il n’y avait rien entre nous que de la tendresse et de l’amitié. Il fallait que je m’y fasse, de toute façon, nous n’étions pas du même monde.
Et puis un soir que je dansais avec Jonathan dans un petit bal de banlieue, je me mis à pleurer. Immédiatement, mon amoureux s’inquiéta : tu es souffrante ? Tu as mal quelque part ? Tu veux que l’on rentre ?
Je sanglotai de plus belle sans pouvoir répondre. Comme il insistait, d’une traite je lui avouai que le tango que nous étions en train de danser était notre chanson fétiche à Hervé et moi. Je lui avouai également qu’il me manquait terriblement.
Il eut une petite réaction déplaisante mais je le compris. Il me repoussa et me proposa de me raccompagner. Le visage fermé, il ne desserra pas les dents jusqu’à ce que nous arrivâmes devant chez moi, en bas de mon immeuble et là il me dit: c'est la dernière fois que nous nous voyons Isa, je ne supporte pas d’être le second.
Je ne répondis pas, je l’embrassai sur la joue et il partit. Je venais de prendre conscience à ses mots que j’étais complètement dingue d’Hervé, mon copain d’enfance. Il avait fallu ce sacré tango pour que je me rendre compte à quel point il comptait pour moi. La route sera longue pour arriver à le convaincre car de son côté je sais que je ne suis qu’une copine mais j’y arriverai. Je l’emmènerai au bal et lui avouerai que je l’aime en dansant : la comparsita que nous dansions quand nous avions dix ans en écoutant les vieux disques de ses parents.
Quand on sera grands, ce sera notre chanson en avions-nous décidé, en scellant notre vœu d’un doux baiser sur la joue.